2 decembrie 2015

Allocution de l’ambassadeur de Roumanie à Dakar, S.E.M. Ciprian Mihali, à l’occasion de la Fête Nationale roumaine (1er Décembre 2015)





Madame Viviane Bampassy, Ministre de la Fonction Publique, de la Rationalisation des Effectifs et du Renouveau du service public,
Madame Penda Mbow, Conseillère Personnelle du Président de la République pour la Francophonie,
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités et institutions sénégalaises, ainsi que du Corps diplomatique accrédité à Dakar,
Chers compatriotes,

Au moment où j’entamais la conception de ce texte, j’avais l’intention de vous parler de la stupeur tragique qui a accablé la société roumaine suite au terrible incendie de Bucarest tuant 60 jeunes innocents le 30 octobre passé.
Mais le lendemain, 224 autres innocents, cette fois Russes, perdirent leurs vies dans l’explosion d’un avion en Egypte.
Deux semaines après, un double attentats-suicide au Liban provoque la mort de 40 habitants arabes d’un quartier paisible de Beyrouth.
Le monde n’eut pas le temps de pleurer ces morts : vendredi 13 novembre, 129 jeunes furent tués froidement dans une série d’attentats à Paris, plongeant le monde entier dans l’effroi.
Le deuil trouva de plus en plus difficilement son temps et son repos, alors que ses lieux se multiplient : le 18 novembre, 32 morts à Yola au Nigéria ; puis le 19 novembre, 2 filles de 11 et respectivement 18 ans se font déchiqueter par la dynamite tuant ainsi 15 personnes à Kano, toujours au Nigéria.
Le 20 novembre, l’attaque de l’hôtel Radisson à Bamako fit plus de 20 morts de plusieurs nationalités, dont certains de nos amis de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Encore une fois le lendemain, et pour ne pas détendre d’un seul cran la course infernale aux carnages, 5 morts dans un attentat-suicide, plus les 4 femmes kamikazes, en Extrême-Nord du Cameroun.
Enfin (mais qui oserait parler d’une fin ?...), le 24 novembre, la ville de Tunis est secouée par l’explosion d’un bus de la garde présidentielle. Bilan sec : 12 morts. Et cette dernière semaine, Niger et Nigéria à nouveau, encore et encore…

J’aurais aimé tout au début vous proposer de dire tous ensemble ce soir « Je suis Roumain ». Mais ensuite il aurait fallu dire « Je suis Russe ». Et « Je suis Libanais ». « Je suis Palestinien ». « Je suis Français ». « Je suis Nigérian ». « Je suis Malien ». « Je suis Chinois ». « Je suis Belge ». « Je suis Américain ». « Je suis Israélien ». « Je suis Sénégalais ». « Je suis Camerounais ». « Je suis Tunisien ». « Je suis Nigérien »…

Et je serai qui encore demain ? Pourquoi et comment est-on arrivé à cette situation où je ne deviens citoyen du monde que par la mort d’autrui ? D’où vient cette folie d’une compétition macabre qui nous terrorise pour que nous soyons capables d’exprimer une solidarité sincère avec les victimes innocentes ?



Nous avons parfois le sentiment que cette solidarité n’y peut rien contre le déferlement de la violence. Ou qu’elle fait de nous de simples survivants qui ont eu de la chance, qui se sont trouvés au bon concert, au bon resto, au bon hôtel, dans la bonne voiture ou dans la bonne ville ce moment-là, le moment de l’incendie, de l’explosion ou de la fusillade. Ce jour-là ou ce soir-là, nous avons eu l’immense chance de rentrer sains et saufs chez nous, de nous asseoir devant la télé et de regarder, avec tristesse mais aussi avec soulagement, oui, la tragédie qui vient de se produire ailleurs.

Nous sommes tous, chacun et chacune, des survivants au hasard et des victimes à sursis.

Impossible et insupportable que de dénombrer tous ces morts. Pourtant nous devons le faire, il nous faut compter et pleurer chaque innocent qui meurt en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Asie, à Paris ou à Bamako. Et cela même s’il nous faut un temps de plus en plus grand pour porter le deuil de chaque enfant, de chaque femme ou de chaque homme dont la vie devient l’objet d’un exploit criminel. D’une barbarie qui s’arroge le droit  – au nom abusif d’une religion, d’un régime politique, d’un fantasme ancestral ou d’un avenir illusoire – de prendre la vie, une vie, n’importe quelle vie (la mienne ou la vôtre), coupable du seul fait de s’être trouvée au mauvais endroit le mauvais moment. Coupable aussi d’être née et de vivre dans la différence : être enfant et ne pas pouvoir se défendre, être femme et non pas homme ; être chiite et ne pas sunnite (ou l’inverse) ; être chrétien et non pas musulman (ou l’inverse) ; être noir et ne pas blanc (ou l’inverse), ainsi de suite, la liste des différences au nom desquelles on tue impunément aujourd’hui devient de plus en plus longue et absurde…

Car c’est quoi au juste la barbarie ? C’est non seulement tuer l’autre pour un « péché » imaginaire et aléatoire, mais c’est aussi et surtout lui refuser la dignité avant de l’anéantir : la dignité d’un nom, d’une identité, d’une biographie. C’est tuer au hasard et en gros, tuer pour tuer, pour le spectacle de la mort, pour l’audience, pour les médias. La barbarie c’est aussi lui refuser le deuil, ignorer sa mort et l’inscrire dans la statistique aride des « breaking news ».

Du coup, la question urgente et désespérante qui se pose aujourd’hui et partout est la suivante : qu’est-ce qu’il faut être au juste – homme ou femme ? Paysan ou citadin ? Croyant ou non-croyant ? Musulman ou chrétien ? Blanc ou noir ? Amateur de musique rock ou de pizza ? – pour avoir une chance de survivre, de repousser son échéance ? Pourquoi ne suffit-il plus d’être un HOMME pour vivre dignement et pour survivre ?

Où, quand et comment avons-nous perdu notre humanité ?


Madame le Ministre, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Nous avons l’honneur d’être diplomates et de pouvoir parler au nom de nos Etats et gouvernements. Mais, en même temps nous avons une responsabilité immense et précise. Car nous pouvons parler – et agir en plus de parler. Notre parole peut et doit devenir action. Car si nous nous taisons c’est comme si nous ne faisions rien, permettant ainsi que d’autres vies soient bafouées, que la barbarie parle et agisse à notre place. Nous, corps politique et diplomatique, nous qui connaissons à la fois nos pays d’origine et nos pays d’accueil, qui travaillons avec le Verbe et le Dialogue, nous devons faire en sorte que nos Etats n’escaladent pas, au nom des intérêts de pouvoir ou d’autres intérêts économiques, militaires ou prétendument spirituelles, la spirale de la violence meurtrière, de l’arrogance aveugle ou de la vengeance historique. Ouvrons toutes les voies possibles de la communication et disons fort autour de nous qu’il n’y a point de profit financier, de victoire militaire et de rédemption religieuse qui puisse justifier l’horreur de bombarder des familles innocentes ou d’habiller en dynamite une fillette de 11 ans pour la faire exploser au lieu de l’envoyer à l’école. Soyons solidaires contre l’ignorance assassine et contre le deuil discriminatoire, contre le silence qui cache certains crimes et en fait parler d’autres, avec la conscience toujours rassurée que nos gestes personnels, politiques et diplomatiques d’engagement peuvent diminuer les violences, rendre la dignité et même sauver des vies.


Ciprian Mihali
Dakar, le 1er Décembre 2015

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